Le retard accusé par l’Afrique en matière de « développement urbain » oblige désormais à l’opérationnalisation d’une approche locale de la planification urbaine. Car là se joue la maîtrise de l’urbain sur le continent.
Des ajustements structurels aux plans d’émergence
Les villes africaines grossissent tous les jours. Pour en comprendre l’origine, il faut remonter au choc pétrolier des années 1970 et à la chute des produits de base qui ont fragilisé les Etats africains, devenus nécessiteux de l’aide des institutions de Bretton Woods. En 1981, le rapport « Développement accéléré en Afrique subsaharienne : un programme d’action » de la Banque mondiale, vient en réponse avec une série de mesures drastiques (privatisation des entreprises publiques et parapubliques, suppression des subventions publiques, déréglementation des taux d’intérêts, dévaluation de la monnaie, etc.) entérinant la mise sous perfusion financière des Etats africains.
Ainsi naissent les programmes d’ajustement structurels (1980-1990) qui obligent à des dégrèvements budgétaires desquels sont frappés de plein fouet les investissements en matière d’équipements, de services et d’infrastructures urbains. Devant l’immense échec des programmes d’ajustement structurels (PAS), et la crise de la dette qui prend de l’ampleur, les pays africains n’ont alors d’autre choix que de recourir à l’initiative PPTE (Pays Pauvre Très Endetté) et entrent en 1990 dans l’ère des Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP) dont les premiers écrits (dits de première génération) s’intéressaient particulièrement aux aspects sociaux, d’où une part négligeable accordée aux projets urbains. C’est à partir des années 2000, que la deuxième décennie des DSRP plus orientée vers le développement industriel et agricole englobera une mise en œuvre davantage accentuée de projets urbains.
Une nouvelle vitesse de croisière
A l’ère de l’émergence, tout va de plus en plus vite. Le retard accusé tente d’être rattrapé par des politiques et investissements massifiées par des plans de développement de plus en plus ambitieux. Car les villes africaines sont aussi une promesse potentielle de transformation structurelle et durable du continent. L’enjeu est de trouver le meilleur schéma pour arrimer la gouvernance territoriale et la gestion urbaine aux défis que pose l’urbanisation.
Il y a donc lieu de susciter un leadership responsable en Afrique, d’où la nécessité de renforcer les capacités des acteurs publics territoriaux sur les questions de planification et de gestion du développement urbain. A ce niveau, l’intercommunalité devient un atout considérable pour insuffler une cohérence à l’échelle dans les actions de planification urbaine. Le séminaire international organisé les 26 et 27 septembre 2019 à Loumbila, par les Communes qui composent le Grand Ouaga est un exemple patent d’une action qui vise à renforcer la création de territoires forts et porteurs de projets de grande envergure. La signature à l’issue de ladite conférence d’un mémorandum d’entente assorti d’une feuille de route de mise en œuvre du Grand Ouaga ainsi créé, démontre l’engagement des acteurs communaux de la région. Il faut dupliquer et adapter ce genre d’initiatives à d’autres contextes.
En effet, dans un schéma combiné d’urbanisation accélérée et d’étalement urbain, il est fondamental d’opérer une planification stricte pour maîtriser l’évolution de la ville. Les modèles (importés) mis en place au sortir de la seconde guerre mondiale ont échoué du fait de leur déconnexion des pratiques quotidiennes au niveau local, de leurs lacunes en termes de fiabilité des systèmes d’information, et de leur orientation axée sur des plans souvent mal hiérarchisés ou sous-évalués. Les pays africains sont maintenant challengés par la nécessité de mobiliser des données statistiques et prospectives précises sur les aspects sociaux et économiques vitaux à l’orientation et à la précision des plans d’urbanisme et d’aménagement du territoire à construire. Un cadre de dialogue entre les différents acteurs est nécessaire pour assurer une vision à 360° sur les objectifs que les Etats doivent projeter ; objectifs dont la cohérence avec les besoins réels est à garantir, dans la perspective de la construction de villes plus ancrées territorialement.
Vitesse oui, précipitation non !
Pour y parvenir la « décentralisation active » prônée par l’association Construire pour demain, est un levier incontournable pour doter les collectivités territoriales de moyens de prise de décision et de gestion des activités au niveau local, sous l’égide des Ministères de l’administration territoriale. Car la maîtrise de l’urbain en Afrique, n’existera véritablement que dans le local.
Or, les efforts, actuellement dans l’air du temps, de décentralisation politique vers le local ne s’improvisent pas et doivent s’appuyer sur les savoir-faire d’administrations décentralisées compétentes et formées en ce sens. Quoi de pire, en effet, que d’assister à des exercices de décentralisation du pouvoir de décision en charge du processus local de planification territoriale dont les lauréats, aussi démocratiquement désignés qu’ils puissent l’être, se retournent sur des administrations vides, non seulement de moyens mais également de toute forme d’intelligence prospective sur le devenir des villes d’Afrique ?
Il faut bien reconnaître, à cet égard, que les modèles reproductifs en termes de planification urbaine actuellement les plus en vogue en Afrique sont massivement inspirés des situations occidentales que l’on pourrait caricaturer de « vues à la télé », ceux-là mêmes, hérités d’erreurs de vision des planificateurs du XXième siècle ayant conduit à une hyper fonctionnalité des affectations territoriales, sans considération des impacts en termes d’énergie, de mobilité ou de vulnérabilité aux aléas climatiques, dont les gestionnaires occidentaux actuels ont toutes les peines du monde à se débarrasser.
Planifier dans le local, c’est, au final, se résoudre à donner du sens à une approche territoriale centrée sur la prospective et visant à de faire l’urbain, le territoire, dans la durabilité. C’est un défi de gouvernance.
Dr Beaugrain Doumongue (1) & Marc Schlitz (2)
(1) Beaugrain Doumongue est ingénieur civil, physicien du bâtiment et expérimentateur urbain. Il préside Construire pour demain et dirige le groupe scientifique SIGMA et le cabinet STRATCO.
(2) Marc Schlitz est expert en environnement au service de la Cellule Stratégique de la Ville de Liège.